Creadev, l'investissement responsable
Nous avons eu la chance d’échanger avec Pierre Fauvette de Creadev, en charge des opérations en Afrique. Fondé en 2002, Creadev est le fonds d’investissement evergreen de la famille Mulliez. Ce dernier possède une empreinte globale, grâce à ses bureaux à Paris, Shanghai, New York, et depuis 2017, à Nairobi.
Creadev ne se présente pas comme un fond à impact, néanmoins il génère, à terme, un impact au travers des secteurs et lieux dans lesquels il investit : Développement Durable, Alimentation, Santé, Talents, Expérience Clients.
Creadev possède une activité assimilée à du Private Equity (Creadev Développement) et une activité s’apparentant davantage à du Venture Capital (Creadev Innovation) qui investissent dans des entreprises plus jeunes, avec de plus petits tickets. Dans les deux cas, Creadev soutient une vision de long-terme.

Pourquoi avoir ouvert un bureau au Kenya ?
Nous souhaitions ouvrir un bureau en Afrique pour développer nos activités sur le continent. Les possibilités qui s’offraient à nous étaient Abidjan, Lagos, Johannesburg et Nairobi.
Quatre raisons majeures ont dirigé notre choix :
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Avoir un pied en Afrique anglophone : Creadev est un fonds d’investissement français, et profite donc déjà d’une certaine influence en Afrique de l’Ouest ;
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Johannesburg n’est pas la meilleure porte d’entrée vers l’Afrique parce que l’Afrique du Sud est véritablement un pays à part ;
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Si Lagos possède un énorme potentiel, les entrepreneurs locaux ne cherchent pas forcément à étendre leur empreinte géographique en dehors du pays (le Nigéria est un continent de possibilité à lui-même) ;
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A l’inverse, la plus petite taille du Kenya est un avantage car l’entrepreneur va rapidement penser cluster régional (s’implanter en Ouganda et en Tanzanie en plus). Il y est également plus facile de faire du business en tant qu’étranger.

Pouvez-vous nous parler du marché panafricain et de ses disparités ?
Il existe trois différences majeures entre les pays de la région :
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Niveau de développement
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Soutien du gouvernement
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Facilité de réaliser du business
D’autres questions se posent avant de s’implanter dans un pays : existence d’une demande locale ? Quel est le pouvoir d’achat ? Existence d’une classe moyenne ? Ressources en matières premières ? Par exemple, le Rwanda propose de bonnes infrastructures, dispose d’un écosystème très favorable, le gouvernement encourage beaucoup les initiatives entrepreneuriales, mais possède peu de ressources naturelles. A cet égard, le pays a une vraie volonté de devenir le « Singapour panafricain ». L’Ouganda et le Kenya sont très exposés à la corruption, il est difficile parfois de mettre des projets en place. Le Kenya est un peu plus avancé dans certains secteurs (éducation, santé, développement durable). L’Ethiopie, est un pays à fort potentiel : d’immenses possibilités, des besoins dingues et une croissance folle.
Aussi, en Afrique il ne suffit pas d’avoir une idée, il est important de construire un business model qui puisse être répliqué. Je pense par exemple à la chaine de café Java House, elle n’a rien de particulier mais elle a pourtant réussi à se développer (40 au Kenya, 10-20 en Ouganda, quelques-uns au Rwanda), c’est ça le plus dur !
Pouvez-vous nous parler du bureau de Nairobi, de votre activité sur place ?
Notre implantation en Afrique est très récente (fin 2017). Les premiers investissements vont donc sortir dans les semaines à venir. La création d’une relation solide avec les entrepreneurs prend du temps, surtout que le marché est beaucoup moins intermédié qu’en France. Nous sélectionnons des « champions » que nous souhaitons accompagner sur le long-terme.
Comment se présente le marché de l’investissement au Kenya et comment se différencier en tant que fonds ?
Ici, il y a généralement plus de capital que de projets. Les promesses de dons des organismes internationaux et des Etats, se traduisent par soit de l’aide direct via l’AFD par exemple, soit des véhicules d’investissements dans le privé. En effet, les politiques publiques d’aide au développement s’orientent de plus en plus vers le soutien du secteur privé, de nombreuses études montrent que cette approche est plus efficace. Tout ce financement n’est pas directement adressé à des projets, il finance aussi d’autres fonds privés. Proparco, par exemple, finance beaucoup de fonds grâce à des équipes assez présentes.
A l’inverse, Creadev n’a pas d’horizon de sortie. C’est un peu notre « marque de fabrique » : nous voulons un retour sur investissement important et régulier, mais nous ne comptons pas reprendre notre investissement tout de suite. En étant un fonds « evergreen », nous nous intégrons dans cette notion de recherche de rendements à long terme en y intégrant des critères d’investissement durable.
Par ailleurs, Creadev ne se limite pas à de l’investissement simple. Nous permettons aux entreprises que nous finançons d’avoir davantage d’impact, en leur donnant accès à un réseau, des méthodologies, des méthodes de gouvernances, et des conseils.

Comment les entreprises vous perçoivent ?
Il y a des réalités très différentes selon les pays. Au Rwanda, la perception française de manière générale n’est pas très bonne, du fait des événements historiques. Malgré tout c’est une réalité qui disparaît dans le business. En Afrique de l’Est, où la France a moins ce passé colonial, ça se passe plutôt bien. La France est vue comme proposant un triple apport : pas de passif historique, forte ouverture sur l’Europe et forte ouverture sur le monde francophone en Afrique. La communauté française de Nairobi est par ailleurs très active.
Néanmoins, pour bien comprendre les pays, leur réalité économique, bien s’y implanter en tant qu’étranger, il faut rester « local ». Ainsi, la directrice de Creadev à Nairobi est kenyane.
Au Kenya, quels sont les secteurs les plus actifs parmi ceux dans lesquels vous investissez ?
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Food / alimentation : de nombreux projets se développent, en réponse au changement des habitudes de consommation, du fait notamment de l’émergence d’une nouvelle classe moyenne ;
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Energie : Creadev a déjà investi dans Voltalia, qui est très active au Kenya. De manière générale, beaucoup de start-ups se développent, par exemple dans l’énergie solaire, bien que pour l’instant, elles présentent surtout des projets d’accès au crédit à la consommation pour l’achat de produits énergétiques ;
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Education : beaucoup de projets voient le jour pour répondre à la problématique « Comment trouver des modèles qui donnent accès à un système de qualité d’éducation, en ligne avec la régulation locale, en faisant fi du manque de professeurs ? ».
L’écosystème des start-ups kenyanes est très dynamique. On parle souvent de ce pays comme la « Silicon Savana », avec néanmoins un petit biais : beaucoup des entrepreneurs sont en réalité étrangers (américains notamment). Est-ce viable à long terme ? Soutenable ? L’avenir le dira.