Impact Investing
Bilan de nos découvertes en Afrique
Ce bilan n’a pas vocation à être exhaustif, il s’appuie sur nos rencontres avec des acteurs africains ainsi que sur nos recherches personnelles, et met en lumière ce que nous avons appris du secteur dans le continent africain. Bonne lecture !
On parle souvent de l’Afrique comme le continent de l’avenir, un continent plein d’opportunités et qui attire de plus en plus les investisseurs étrangers et locaux. En effet, le continent africain est composé de 54 pays, peuplés de plus d'un milliard d'habitants et répartis sur 30 millions de kilomètres carrés (ce qui en fait le deuxième plus grand continent du monde). Pourtant, lorsqu’on regarde une carte du monde la nuit, le continent africain est dans le noir et contraste avec, par exemple, une Europe qui brille, dénotant ainsi un retard notable comparé aux autres continents.
La 70e Assemblée Générale des Nations Unies a établi, en septembre 2015, les Objectifs de Développement Durable pour l’ensemble des pays de la planète. Parallèlement, l’Union Africaine implémente également son propre « Agenda 2063 » qui a pour but d’atteindre une « Afrique intégrée, prospère, en paix, menée par ses propres citoyens, et devenue une région dynamique capable de jouer un rôle sur la scène internationale ».
Ces deux évènements ont poussé d’autant plus les investisseurs à s’intéresser à ce continent ces dernières années, jusque-là délaissé au profit de l’Asie par exemple. Ces ambitions appellent à des changements radicaux, et nécessitent pour cela des fonds massifs et des ressources énormes, tant matérielles qu’humaines et financières.

L’écosystème de l’impact investing en Afrique
L’impact investing est un investissement réalisé dans le but d’obtenir un retour financier tout en créant un impact social, sociétal et/ou environnemental positif. Depuis que le terme a été inventé lors de la conférence Bellagio en 2007, organisé par la Fondation Rockefeller, l'industrie de l'investissement à impact a connu une croissance constante.
La pratique reste naissante en Afrique, mais elle a un véritable potentiel de croissance et de contribution significative à la croissance économique du continent, et à la réalisation de ses objectifs de développement. Au cours de la dernière décennie, les flux financiers privés vers l'Afrique ont commencé à augmenter, passant de 63 % des ressources extérieures totales en 2002-06 à plus de 70 % en 2010-14. Si l'Afrique apparaît comme un marché important pour l’investissement d’impact, on constate néanmoins de fortes disparités sectorielles et géographiques.
Les illustrations ci-dessous font état du secteur de l’impact investing en 2015. Source : Investisseurs et Partenaires


Qui sont ces investisseurs à impact ?
Au cours de ces dernières années, les investisseurs tels que les gestionnaires de fonds, les institutions de financement du développement (IFD) et les fondations, entre autres, ont pu constater les opportunités croissantes en matière d’impact investing ayant un taux de rentabilité interne (« Internal Rate of Return ») intéressant. Les décideurs politiques d’Afrique du Sud, du Kenya et du Nigeria ont pris des mesures pour stimuler les investissements dans les PME par le biais de fonds de capital-investissement. Les investissements dans les PME étant l’un des cinq principaux thèmes de l’impact investing, il est possible d’attirer des particuliers fortunés (HNWI) pour qu’ils allouent davantage de capitaux à ce type d’investissement.
Les investissements ont eu tendance à se concentrer sur les secteurs où le gouvernement ne peut pas fournir des services sociaux adéquats, comme les soins de santé, l'éducation et les finances, et où une solution de marché viable peut fournir des biens et/ou services.
Mais est-ce qu'il s'agit d'investisseurs locaux ou étrangers ? AIIM (voir l'article) nous répondait concernant notamment les investissements en termes d’infrastructures et d’énergie : « Les chinois sont vraiment présents partout dans ce secteur, ils ont beaucoup d’argent à mettre sur la table et propose des coûts compétitifs. Ils développent vraiment leurs zones d’influence sur le continent. Les européens sont présents également et ont véritablement l’avantage de mieux connaître le continent et d’être plus proches culturellement. On ne trouve pas trop d’investisseurs américains parce que le continent leur fait toujours un peu peur.Mais pour revenir sur les investissements chinois, ils sont souvent très controversés. Ils signent des contrats avec des pays africains avec des conditions de remboursement très compliquées à remplir. Seulement, dans les clauses ils prévoient de prendre la main sur des infrastructures en cas de non remboursement. C’est par exemple le cas avec le port de Mombasa, qui est clé pour la région. C’est à peine croyable. ». Un article très intéressant des Echos évoque notamment ce sujet, à lire ici.
Impact investing en Afrique : quels secteurs concernés ?
Une étude réalisée par Investisseurs et Partenaires en 2015 mettait en lumière les principaux secteurs visés par l’impact investing.

Impact investing en Afrique : quels secteurs concernés ?
Une étude réalisée par Investisseurs et Partenaires en 2015 mettait en lumière les principaux secteurs visés par l’impact investing.
Si notre projet concerne surtout l’inclusion financière, nous avons néanmoins rencontré des acteurs de l’impact investing davantage tournés vers le secteur de l’énergie (et particulièrement l’énergie renouvelable), ainsi que celui de l’infrastructure, notamment via notre rencontre avec M-Kopa au Kenya (article ici) et African Infrastructure Investment Managers (article ici). Enfin, l’investissement à impact dans le domaine des services financiers est résumé dans notre bilan ici.
Zoom sur le secteur de l'énergie
Plus de 700 millions de personnes (les deux tiers de la population) en Afrique vivent sans accès à l'électricité. L'accès à l'énergie pour la cuisson, l'éclairage et le chauffage reste donc un défi majeur pour de nombreux ménages africains, dont beaucoup dépendent de l'utilisation traditionnelle de la biomasse solide. Malheureusement, cuisiner avec ces combustibles solides a d'importantes répercussions négatives sur l'environnement et la santé.
De plus, les rapports montrent que le secteur de l'électricité est une composante essentielle du progrès économique. Par conséquent, les investissements réussis dans le secteur de l'électricité mettent en évidence un effet exponentiel sur l'économie en général et un impact considérable sur le développement.
Le développement des projets énergétiques requis en Afrique nécessite des investissements avec de longues périodes de remboursement et exigent des connaissances et une expertise technique et spécialisée pour être préparés et mis en œuvre. Pour relever certains des défis de l'investissement dans le secteur de l'électricité en Afrique, il est nécessaire de développer un environnement d'investissement durable et à long terme. C’est ici que l’impact investing peut et doit jouer un rôle. (Source : AFIDA)
De nombreux investissements, combinant impact environnemental, social et inclusion financière ont ainsi été développés, un bon exemple étant l’entreprise M-Kopa que nous avons rencontré au Kenya.
Utilisant le modèle “Pay-as-you-go”, M-Kopa Solar, fournit des produits d'énergie solaire de location avec option d'achat qui contribueront à fournir une énergie solaire bon marché aux foyers ruraux. Le système de maison solaire M-Kopa IV comprend un panneau solaire, une unité de commande, trois ampoules LED basse consommation (dont une torche portable rechargeable) et une radio rechargeable. L'unité de commande dispose également d'un port USB pour charger les téléphones portables. C'est un système solaire hors réseau parfait pour l'Afrique, où l'infrastructure terrestre est pauvre et l'approvisionnement en électricité est souvent irrégulier.
Pour un dépôt de 35 $, les acheteurs obtiennent le système puis effectuent 365 paiements quotidiens de 0,43 $ par le biais du système d'argent mobile M-Pesa. Lorsqu'il est entièrement remboursé, le système appartient à l'acheteur. M-Kopa a ainsi vendu environ 300 000 unités au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda et au Ghana.

Zoom sur le secteur des infrastructures
Les infrastructures en Afrique sont clé pour connaître une croissance économique pérenne, pourtant le continent en manque cruellement, ce qui nuit fortement à sa productivité. Malgré sa forte croissance ces dernières années, l’Afrique ne parvient pas à “dépasser” ses homologues.
La Banque africaine de développement estime que l'Afrique dépense en moyenne 45 milliards de dollars par an pour l'infrastructure et que la plupart des capitaux nécessaires à cet investissement proviennent de sources extérieures ou étrangères. Par conséquent, pour que le continent puisse poursuivre le développement de ses infrastructures, un niveau d'investissement soutenu ainsi que des mécanismes efficaces permettant de placer ces investissements sont nécessaires. Notre rencontre avec AIIM évoque cette thématique du financement de l’infrastructure en Afrique de l’Est.
Quels sont les obstacles rencontrés par les investisseurs en Afrique ?
Malgré le potentiel énorme que représente le continent, de nombreux défis persistent et ralentissent les investissements.
Un deal flow assez faible. Malgré les nombreuses opportunités dans les différents pays, le deal flow n’est pas si important : en effet, peu de projets combinent à la fois un impact social/environnemental effectif ET un retour sur investissement suffisant. Cela met en relief un autre problème auquel fait face l’impact investing de manière générale : la mesure d’impact. Il est très compliqué de la réaliser, et encore plus de générer un historique de cette mesure. Le manque de projets est aussi expliqué par un écosystème entrepreneurial très dispersé. Les entrepreneurs n’ont pas facilement accès à des incubateurs, à des réseaux, etc. C’est d’ailleurs un des challenges de l’UNCDF, que nous avons rencontré en Ouganda : ces derniers cherchent justement à rassembler les différents acteurs de l’écosystème start-ups pour promouvoir de telles initiatives.
Une régulation des pays floue et instabilité politique. C’est bien connu, on n’investit dans un pays que si l’on pense que sa situation politique et économique est stable ! Les investisseurs ont davantage tendance à s’implanter dans des pays où l’entrepreneuriat et l’activité économique sont encouragés et favorisés, et où leurs droits seront protégés. Et c’est là où réside un problème majeur concernant les investissements en Afrique. Notre interlocuteur chez African Infrastructure Investment Managers nous indiquait ainsi : « Il faut constamment faire face à des normes de régulations compliquées et variées, mais aussi s’adapter à une instabilité politique forte. Par exemple, nous étions à la dernière étape d’un deal en Afrique du Sud, tout était prêt, mais le gouvernement n’a pas signé pendant deux ans un document que nous appelons le PPA et qui est un contrat d’achat de l’énergie que nous allons produire avec le parc. Tout était donc en stand-by à cause de quelques raisons purement politiques. ». Les investisseurs font donc face à des risques politiques et économiques énormes, et chaque nouvelle élection dans un pays génère son lot d’incertitudes. On note toutefois une amélioration à ce niveau dans certains pays. Par exemple, au Rwanda, le gouvernement a énormément simplifié et fluidifié la création d’entreprise, qui peut désormais se faire en quelques heures. Ce pays, qui souhaite devenir le « Singapour panafricain » reste néanmoins une exception parmi de nombreux pays encore archaïques à ce sujet.
Une corruption très présente. La corruption en Afrique prend plusieurs formes :
- Corruption au niveau du gouvernement, qui empoche l’argent public et limite significativement tout investissement, notamment social et dans les infrastructures ;
- Corruption des entreprises qui versent des pots-de-vin pour remporter les contrats (au niveau B2B et B2G) : connaître les « bonnes personnes » est indispensable, ce qui trust souvent le marché et rebute les investisseurs étrangers notamment ;
- Corruption au niveau des individus : nous-même, durant notre séjour en Afrique, avons été témoins de la corruption, notamment au niveau des forces de l’ordre, qui abusent généreusement de leur pouvoir et réclame régulièrement de l’argent sans raison apparente. Cette pratique est ancrée dans les normes, et si elle nous surprend, elle fait hélas partie de la vie quotidienne des habitants.
La corruption qui nous intéresse ici est surtout celle à laquelle sont confrontées les entreprises. « Tant que nous n’arrivons pas régler ce problème de corruption, la croissance ne pourra pas être saine » nous rappelle François Coupienne, de l’UNCDF, que nous avons rencontré en Ouganda.
La taxation. Par exemple au Kenya, près de 83% des PME sont informelles. A l’inverse, les entreprises qui sont contrôlés fiscalement payent des taxes énormes, ce qui peut rebuter.
Quels sont les limites de l’impact investing ?
De manière générale, la définition de l’investissement à impact est très floue, et laisse le champ libre à bon nombre d’interprétations. Un investissement dans l’énergie solaire n’est pas suffisant pour être considéré comme de l’impact investing si en parallèle, cette énergie ne bénéficie pas à la population locale. De même, la mesure d’impact en elle-même est très difficile, et les investisseurs peinent à s’accorder sur les facteurs à prendre en compte. Il est donc difficile d’apprécier le secteur précisément. L’impact investing connaît aussi ses limites : son besoin de rendement financier n’incitent pas les investisseurs à investir dans des pays instables, où dans des secteurs encore peu économiquement viable.
L'investissement à impact a donc plutôt le potentiel de compléter les dépenses publiques et l'Aide Public au Développement, en mobilisant les capitaux et les compétences du secteur privé pour réduire la vulnérabilité des économies africaines aux chocs extérieurs, en fournissant une solution fondée sur le marché pour répondre aux besoins socioéconomiques et en permettant aux entrées d'APD et aux dépenses publiques de se concentrer sur les besoins sociaux pour lesquels il n'existe aucune solution économiquement viable à ce stade.
Conclusion
Les avantages de l’investissement à impact social sont bien au-delà des défis à relever. Elle peut compléter les flux de capitaux vers les économies en développement, et stimuler le développement du secteur privé. Le marché de l’impact investing offre aux investisseurs des opportunités intéressantes et variées afin de faire progresser les programmes sociaux et environnementaux. Et ce, grâce à des investissements qui produisent également un rendement financier. En combinant plusieurs formes de capital avec des attentes de rendement différentes, il est possible de relever les défis sociaux d’une manière plus accessible et que dans le secteur public ne peut atteindre seul. Il y a la création et le développement d’entreprises innovantes qui contribuent à la croissance de l’économie dans son ensemble. (source : Sunibel Corporate service)