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Mobile Money
Bilan de nos découvertes en Afrique

Le paiement par téléphone, également appelé le « mobile money », est l’innovation la plus importante de cette dernière décennie en Afrique. Créé au Kenya en 2007, cette révolution a bouleversé l’économie du continent africain, ses habitudes de consommation et de production. Nous avons été étonnées de voir à quel point le mobile money est un outil omniprésent dans les propositions de services financiers, dans les rues, dans les habitudes des africains.

 

Voici donc un article récapitulatif de nos découvertes sur le sujet à travers nos entretiens, nos recherches en ligne, nos discussions avec la population locale, etc. Il s’agit véritablement d’un secteur passionnant !

Quelques chiffres clés : 

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D’où est-ce que vient la révolution africaine du mobile money ?

 

Lancé avec succès en 2007 sous le nom commercial de M-Pesa par l’opérateur GSM kenyan Safaricom, le Mobile Money était au début considéré comme une activité permettant d’adresser simplement le besoin d’inclusion financière. Ceci grâce au téléphone portable dont le taux de pénétration et la croissance rapide est particulièrement remarquable en Afrique.

Mais rapidement, cette activité est devenue un phénomène disruptif dans l’industrie des services financiers en Afrique au point de menacer l’activité traditionnelle des Banques. En effet, le développement rapide et l’élargissement de l’offre de services financiers du M-Pesa au Kenya et en Afrique de l’Est, de Orange Money en Afrique Francophone, de MTN Mobile Money au Ghana et en Ouganda… est devenu si rapide et couronné de succès que le Mobile Money rentre en compétition direct avec les banques. Les chiffres parlent d’eux même : au bout 11 années d’existence, le Mobile Money compte aujourd’hui 122 millions de comptes actifs en 2017. Les transactions ont atteint le chiffre de 1,2 milliards valorisées à 20 milliards de dollars US.

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Quelles sont les raisons de ce succès fulgurant ? 

 

La distribution : 37 marchés africains ont 10 fois plus d’agents enregistrés que de succursales bancaires. Au Kenya, par exemple, Safaricom compte plus de 130 000 agents dans lesquels les clients peuvent encaisser ou décaisser.

 

L’accès à une clientèle énorme : Par exemple, MTN, la plus grande entreprise de télécommunications en Afrique que nous avons eu la chance de rencontrer en Ouganda (voir article), compte 171 millions de clients, tandis que les principales banques panafricaines (Ecobank, Standard Bank, Barclays Africa, par exemple) comptent entre 11 et 15 millions de clients. Comment l'expliquer ? Premièrement, la pénétration de la téléphonie mobile en Afrique est en moyenne de 80%, soit le double du taux de pénétration bancaire. De plus, la télécommunication est une industrie beaucoup plus concentrée que la banque. Les cinq plus grandes entreprises de télécommunication en Afrique ont 60% de tous les clients de télécommunications en Afrique, contre 22% pour les cinq plus grandes banques d’Afrique.

 

La construction d’une plateforme ergonomique, accessible et efficace : un certain nombre de sociétés de télécommunications ont réussi à développer une expérience client supérieure dès l’évolution des services financiers mobiles en Afrique. L’expérience client de M-Pesa est extrêmement simple: il ne faut que trois entrées et six clics pour envoyer des fonds, quel que soit le type de téléphone. L’inscription est simple; l’acceptation par les commerçants est répandue et il n’y a pas de frais de transaction sur les paiements de factures.

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Comment le mobile money participe à l’inclusion financière ?

 

En 2014, une enquête conduite par le cabinet Boston Consulting Group (BCG) relève qu’en Afrique, moins de 30% de personnes ont accès aux services bancaires traditionnels. Mais, en 2019, soutient encore le BCG, environ 250 millions de personnes pourraient accéder aux services de la banque grâce au Mobile Money. Cette expansion pourrait tirer son fondement dans la facilité de création de compte, la célérité dans les transactions et les coûts abordables des opérations. Les analyses du Cabinet BCG soulignent par ailleurs qu’environ un milliard de dollars de gains découleront des services Mobile Money.

 

Richard de l’UNCDF (voir article), quant à lui identifie trois principaux avantages qu’apporte cette finance digitale :

  • Accès : la finance digitale permet à un agriculteur dans une zone reculée d’accéder à des services financiers rapidement

  • Traçabilité : la finance digitale génère une base de données incroyable qui nous permet de développer de nouveaux outils à partir de crédit scoring ou de vérifier l’utilisation de l’argent donné à des réfugiés par exemple

  • Sécurité : la finance digitale transforme les billets cachés dans le matelas en une monnaie sécurisée.

 

Comment les gouvernements africains accueillent cette révolution ?

 

Au travers de nos rendez-vous avec des acteurs comme Jumo (voir article), Mobicash (voir article), MTN (voir article) et l’UNCDF (voir article), nous nous sommes rendues compte que la relation qu’entretiennent les gouvernements et les opérateurs de Mobile Money est très ambivalente.

 

D’un autre côté, les gouvernements ont tout intérêt à soutenir les initiatives prises par les télécoms. Cette révolution a par exemple un impact positif sur le recouvrement fiscal : le mobile money permet plus de transparence dans les transactions, le taux de recouvrement de la TVA devrait ainsi être amélioré et le prélèvement de la TVA sur les transactions des entreprises mieux contrôlé. Bien plus, la commercialisation des services de Mobile Money ne peut offrir aux pays africains que des ressources fiscales additionnelles à travers les impôts sur les revenus prélevés auprès des opérateurs de Mobile Money.

 

Mais d’un autre côté, lorsque nous avons demandé à Jane Mugenyi de MTN quels étaient ses principaux défis, les deux premiers concernaient leur relation avec le gouvernement.

 

En effet, le gouvernement essaie de réglementer le secteur du mobile money mais en faisant cela il bride énormément la pleine expansion du secteur. François Coupienne, de l’UNCDF, nous expliquait alors que MTN en Ouganda engageait de longues discussions avec le pouvoir public pour obtenir plus de flexibilité de leur part et ainsi mener à bien leurs programmes.

 

Ensuite, le gouvernement souhaite taxer ce secteur prometteur, risquant ainsi de rendre cet outil moins attractif pour l’utilisateur. Le gouvernement ougandais avait par exemple mis en place une taxe de 1% sur l’ensemble des transactions du mobile money. Du jour au lendemain, MTN a perdu une grande partie de leur clientèle (40% en 3 jours !) qui n’était pas prête à utiliser le mobile money si c’était pour avoir des coûts supplémentaires. Depuis, ils ont supprimé cette taxe mais à cause de cela la confiance des clients s’est effritée.

Rapide retour sur notre rendez-vous avec MTN en Ouganda

 

MTN en chiffres :

  • 22,8 millions d'utilisateurs actifs

  • Plus de 147 000 agents dans tout le pays

  • 3,1 millions de transactions par jour, soit 137 milliards de shillings ougandais

 

C'est l’opérateur mobile et l’acteur de mobile money leader en Ouganda. Dans les villes, nous ne pouvions pas faire 20m dans la rue sans croiser un kiosque MTN ou apercevoir une publicité pour leur service de mobile money. MTN a d'ailleurs permis à 2% de la population kenyane (soit 194 000 foyers) de sortir de la pauvreté grâce à l'utilisation de son service MoMo.

 

Ils équipent une bonne partie de la population d’une carte SIM reliée à leur téléphone. Cette carte SIM est justement le moyen qu’il ont d’atteindre la population et de leur proposer des services financiers auxquels ils n’avaient pas accès jusqu’à maintenant. Chaque personne possédant une carte SIM MTN a un compte de Mobile Money relié. C’était la première étape pour eux : la carte SIM ne sert plus seulement à passer des appels ou recevoir des messages, c’est un outil financier.

Aujourd’hui, ils ont développé une plateforme assez complète avec un portefeuille de services pour leurs clients. Le développement de leurs produits a eu lieu en plusieurs étapes :​ transfert d’argent, paiement des factures, paiement des taxes et impôts, services bancaires, achat auprès d’un commerçant et internationalisation des services.

 

C’est véritablement un département qui bouillonne chez MTN, ils lancent 20 projets en même temps pour développer leur produit et travaillent avec de nombreuses fintechs qui viennent de partout dans le monde pour être toujours plus innovant ! On a vraiment trouvé ça passionnant !

Banques traditionnelles VS opérateurs de téléphonie mobile : qui va remporter le marché des services financiers en Afrique ?

 

Le développement du Mobile Money déployé par les opérateurs de téléphonie mobile a été si fulgurant en Afrique que certains observateurs prédisent déjà le déclin des banques traditionnelles. Pourtant, face aux incessantes incursions des GSM, le système bancaire a réagi en déployant des solutions de Mobile Banking (Ecobank, Société Générale, Barclays Bank, Equity Bank …). En raison de relations d’interdépendance, les deux parties privilégient jusque-là la dynamique du partenariat : les banques ont une dépendance des GSM via l’attribution de code USSD, pour l’accès des feature phones à leur service de banque par mobile ; les GSM ont à leur tour besoin de la licence de leurs partenaires bancaires pour certains services (leurs activités de transfert à l’international, de nano-crédit et d’épargne rémunérée ne peuvent se faire sans partenaire bancaire…).

 

Mais une rupture de ban, pouvant bouleverser les deux industries, est en vue avec l’annonce de la création de banque par des opérateurs GSM. En effet, certaines lignes d’activité bancaire sont parfois freinées par une barrière à l’entrée majeure : la réglementation. Pour s’en défaire, l’ouverture de discussion a laissé deux options possibles : créer une banque ou entrer en partenariat avec une banque. Lors d’une interview accordée à Jeunes Afrique en novembre 2017, Stéphane Richard (PDG d’Orange) déclarait : « Dans les années qui viennent, Orange doit accomplir une mutation pour devenir une banque de plein exercice… À coup sûr, Orange aura une banque en Afrique dans les deux ans ». Il est ensuite allé plus loin en prédisant « On peut penser que les opérateurs de télécoms seront les banquiers de l’Afrique parce que leur modèle est plus adapté aux réalités africaines que celui des banques traditionnelles ».
 

Mais est ce que tous les GSM seront capables de prendre ce tournant ? Il ne faut pas oublier les obligations, coûts et réglementations fortes que cela implique ! D’autre part, est-ce que les banques seront capables de flexibiliser leur structure pour adresser leurs services à ce nouveau marché ? Rien n’est moins sûr !

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Comment les fintechs vont venir compléter l’offre des mobiles money ?

 

L'utilisation de services mobile money génère des données qui peuvent ensuite être utilisées pour évaluer automatiquement la solvabilité de l'utilisateur, ce qui permet aux prêteurs d'accorder du crédit à des personnes qui, autrement, n'ont pas de garantie ou d'historique de crédit. Une plus grande portée géographique, des coûts moins élevés et une plus grande rapidité contribuent également à l'expansion de ces services. L'Afrique subsaharienne est la seule région où plus de 10 % des adultes utilisent l'argent mobile. Au Kenya et en Ouganda, plus de la moitié de la population adulte utilise les services financiers numériques.

 

Comment est-ce que ça marche vraiment ? Nous en avons discuté avec Jumo (voir article), start-up sud-africaine, qui se développe rapidement dans le secteur. L'entreprise combine les données et la technologie pour fournir des produits conçus pour atteindre et s’adapter aux 80% de la population mondiale qui ne sont pas (dé)servis par les services financiers traditionnels.

 

Prenons un exemple : Lilia travaille dans son petit restaurant quand une sonnerie sur son téléphone attire son attention. Il s'agit d'un SMS de Jumo lui disant qu'elle s’est qualifiée pour un prêt numérique instantané. Elle peut alors directement aller sur le plateforme et effectuer le choix de prêt qui lui correspond pour développer son activité. Elle reçoit le prêt sur son compte mobile money partenaire et peut également effectuer les remboursements de façon digitale.

 

Comment est-ce que Jumo s’assure que Lilia est solvable sans l’avoir rencontrée et lui avoir demandé des documents justificatifs ? Les télécoms possèdent une quantité énorme de data, quelque soit le profil de l’utilisateur (nombre d’appels, régularité de la recharge, etc). Jumo utilise cette information pour définir des comportements et des risques, grâce à un algorithme élaboré par ses data scientists, et mis à jour en permanence.

Les utilisateurs de mobile money se créent une « identité financière » ce qui leur donnent accès à services financiers abordables, en temps réel et adaptés à leurs besoins spécifiques. Ces services profitent à de larges segments de la clientèle, notamment les personnes à faible revenu et les propriétaires de micro, petites et moyennes entreprises (MPME), auparavant exclues des services bancaires traditionnels.

 

Nous avons développé ici le business model de Jumo mais les fintechs sont de plus en plus nombreuses à saisir l’opportunité de ce marché ! Nous pouvons nous attendre à la création d’outils financiers très innovants dans les prochaines années.

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Quels sont les défis que doivent adresser les opérateurs de mobiles money ?

 

Les analystes du FMI estiment que trois défis majeurs devront être adressés par les gouvernements des pays africains.

  • Le risque de contrepartie : les fonds dormant dans les réseaux de Mobile Money, qu’ils soient détenus dans le téléphone des particuliers ou celui des agents, devraient avoir une architecture de couverture des risques qui soit bien solide.

  • La panne informatique qui plomberait toute capacité d’effectuer les opérations, ou alors qui conduirait à une soustraction frauduleuse de l’argent dormant dans les réseaux de mobile money.

  • Une probable influence macroéconomique de ce secteur qui progressivement devient une pratique usuelle pour les populations.


A ces défis, nous pouvons ajouter que le mobile repose sur le téléphone portable, sans cet outil les opérateurs ne peuvent pas atteindre la population. Alors pour pouvoir adresser leur produit à l’ensemble du marché, les opérateurs de mobile money doivent pouvoir s’appuyer sur une population qui possède un téléphone, qui a de l’électricité pour le charger et assez de réseau pour l’utiliser. C’est aujourd’hui loin d’être le cas ! Nous avons alors rencontré Mobicash (voir article) qui propose un alternative au téléphone avec un système de paiement par empreinte digitale pour permettre aux personnes ne possédant pas de portable d’accéder aux mêmes services financiers.

 

Conclusion

 

Le sujet du mobile money est passionnant par le nombre de portes qu’il ouvre vers des solutions toujours plus innovantes et inclusives. Nous avons par exemple été frappé au Kenya de voir nos amis payer avec leur portable avec une facilité folle alors que nous nous devions faire des A/R pour retirer de l’argent. Le mobile money tire son succès du fait qu’il a su s’adapter véritablement à la réalité du marché africain et proposer des solutions très innovantes pour y répondre ! Le continent veut aller vite et se développer de manière intrinsèque, c’est un peu ce que lui propose le mobile money selon nous ! Même si les opérateurs doivent toujours adresser de nombreux défis, nous avons véritablement été séduites pour la découverte de ce modèle !

 

Et à la vitesse à laquelle il se développe on ne peut que terminer notre article par un : To be continued ...

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