top of page
Impact Investing
Bilan de nos interviews en Amérique Latine

Au fur et à mesure que nous avançons dans notre réflexion sur l’inclusion financière, nous nous rendons compte que l’impact investing représente une vraie dynamique. Les témoignages des personnes que nous avons eu la chance de rencontrer en Amérique Latine prouvent qu’à différents niveaux, un nombre croissant d’investisseurs se tournent vers l’investissement à impact social & environnemental.

 

D’une part, parce qu’ils trouvent du sens à placer leur argent dans des projets conformes à leurs valeurs, mais aussi parce qu’il a été largement prouvé que l’investissement social peut être particulièrement rentable. L’impact investing est-il donc le nouvel investissement intelligent ? En tout cas en Amérique Latine, les investisseurs privés, les institutions financières de développement, les fondations et les gouvernements s’y mettent ! Si bien qu’il semble de plus en plus difficile de passer à côté du sujet.

 

Impact investing.jpg

Cependant comment définir ce secteur en Amérique Latine ? Est-ce un concept, un idéal pour les investisseurs ? Ou une réalité ? Ils sont de plus en plus nombreux à en parler mais sont-ils vraiment prêts à investir ? Aussi, le secteur fait face à des défis importants comme par exemple le manque d’informations et de transparence, la part d’investisseurs latino-américains a besoin d’augmenter face à celle d’investisseurs internationaux et les gouvernements doivent se positionner en tant que soutient de telles dynamiques.


Voici donc ce que nous retenons de nos 3 mois de découvertes en Amérique Latine sur ce secteur prometteur ! Nous tâcherons en particulier de faire un état des lieux du secteur en Colombie, au Pérou et au Chili parce que nous avons rencontré Accion International, Mix Market, Doble Impacto, Edaprospo, Inversion de Impacto Chile qui nous avons pu en parler et nous avons pu lire de nombreux documents sur le sujet.

Mais au fait c’est quoi l’impact investing ?

 

Selon le GIIN (Global Impact Investing Network, à prononcer comme la boisson, est une association professionnelle de facto pour ce marché émergent), l'investissement d'impact se réfère aux investissements "réalisés dans des entreprises, des organisations et des fonds avec l'intention d'avoir un impact social ou environnemental mesurable et bénéfique".
 

Une enquête menée en 2017 par le GIIN a révélé qu'en 2016, plus de 200 investisseurs s'identifiant comme tels ont fait près de 8000 investissements. Ces investissements ont totalisé 22,1 milliards de dollars et visaient à créer un impact positif sur la société ou l'environnement, en plus d'un rendement positif pour les investisseurs. Le GIIN prévoit que le montant en dollars augmentera de plus de 20 % pour atteindre 25,9 milliards de dollars cette année.

 

Certes, ce chiffre représente une goutte d'eau dans l'océan des marchés financiers mondiaux, mais ces dernières années, des géants financiers comme BlackRock, Goldman Sachs et Bain Capital ont créé des unités spécifiques destinées à réaliser des "investissements d'impact", de sorte que certains observateurs du marché s'attendent à une croissance plus rapide des nouveaux fonds au cours des cinq à dix prochaines années, à mesure que ces nouveaux capitaux seront regroupés et déployés.

 

Mais, pour que l'investissement à impact se développe avec intégrité et ait l'impact transformationnel escompté, le secteur doit se structurer et répondre à quelques questions : l’impact peut-il être mesuré de façon crédible ? L'impact peut-il être mesuré de manière à ce que les investisseurs puissent faire des comparaisons qui orientent leurs décisions d'investissement ? Comment rendre le secteur plus transparent ?

Petit point sur des facteurs clés de l’impact investing en Amérique Latine :

 

Contexte macroéconomique
 

L’Amérique latine est historiquement le continent qui compte le plus d’inégalité sociale (le taux est en général 30% plus élevé que la moyenne mondiale). Cependant, grâce aux grands programmes sociaux des années 2000 et la croissance économique, le continent a vu émerger une classe moyenne de plus en plus importante et le taux d’extrême pauvreté a baissé de moitié. Mais, l’économie reste instable, le continent est toujours victime de nombreuses crises politiques (Brésil et Venezuela par exemple) et financières (récemment l’Argentine).
 

L’écosystème entrepreneurial
 

Comme n’importe quelle entreprise, il s’agit d’un facteur clé de réussite des entreprises à impact. Comment est le marché du travail ? Est-ce que l’entrepreneuriat y est dynamique ? Les idées fusent ? Le gouvernement lance-t-il des programmes de soutien ?

 

Selon “Index of Systemic Conditions for Dynamic Entrepreneurship”, les principaux défis auxquels l’entrepreneuriat fait face en Amérique latine sont le faible nombre d’entrepreneurs avec des projets de croissance forte, le manque de fonds early stage et de faible réseaux entrepreneuriaux.

capture entrepreneuriat.JPG
capture MFI.JPG

Le marché de Private Capital Markets
 

Selon l’étude de l’EMPEA de 2016, l’Amérique Latine est la deuxième zone émergente d’attraction de capitaux privés. La région concentre 17% des fonds investis dans les pays émergents.
 

De son côté, LAVCA identifie les facteurs d’attractivité du continent pour des Limited Partners : les valorisation d’entrée sont basses et le dealflow est important. Mais d’un autre côté, l’Amérique Latine compte quelques défis tels que la volatilité de la monnaie, l’instabilité politique et la lourde réglementation.

 

Typologie des acteurs à impact dans la région

 

On distingue trois grands types d’investisseurs à impact en Amérique Latine : les investisseurs en microfinance (ils représentent une large majorité), les bailleurs sociaux pour l’agriculture et les investisseurs pour des entreprises à impact.

 

Les investisseurs à impact qui se concentrent sur les IMF évoluent sur un marché de plus en plus mature. Les IMF gèrent plus de capital et les tickets d’investissements sont donc plus importants. De plus, des acteurs comme MixMarket (lien article) que nous avons rencontré à Lima, agissent pour rendre le secteur transparent et ainsi limiter les investissements risqués.

 

L'industrie de la microfinance a pris son envol à l'échelle mondiale dans les années 1990, bien avant que les termes « impact investing » et « entreprises à impact » aient émergé. Au départ, il s'agissait d'un ensemble fragmenté d'ONG et de fondations, mais le secteur a mûri au point que certaines grandes IMF ont atteint un IPO ou ont été acquises par de grandes banques (cf article Mix Market). Dans les années 2000, les investisseurs ont commencé à fournir des placements en actions et en titres de créance à ces IMF qui étaient passées du statut d'ONG à celui de société financière non bancaire (IFNB). Aussi, investissements à succès se sont multipliés et ont attiré de plus en plus d’investisseurs étrangers. Le directeur d’Edaprospo (IMF péruvienne : voir article), nous expliquait alors que le financement ne représentait plus un défi au quotidien, le secteur était reconnu comme rentable auprès des investisseurs.

 

La microfinance, en tant que secteur mature dans le domaine de l'investissement d'impact, sert souvent de point de référence pour le reste de l'industrie. 9% des financements mondiaux en microfinance sont tournés vers l’Amérique Latine. Le Pérou et l’Equateur se positionnent dans le top 10 des pays bénéficiaires.

Quant aux bailleurs sociaux pour l’agriculture, attirés par l’incroyable potentiel de l’Amérique Latine, ils se font de plus en plus nombreux. La région capte ainsi 62% de l’investissement mondial dans ce sous-secteur en 2015. Nous avons eu la chance de rencontrer François Dionne qui dirige le programme PASAC financé par le gouvernement canadien et qui souhaite développer le crédit agricole en Colombie (lire article). Il qualifiait le pays et la région de manière générale comme une terre d’opportunité pour le secteur agricole. Les institutions financières, auparavant méfiantes face au spécificité du secteur, commencent juste à financer des projets dans des zones rurales.

 

Enfin, les investisseurs qui financent des entreprises à impact de manière générale sont plus rares mais se développent. Nous avons eu un riche échange avec Diego Guzman, directeur du bureau latino-américain à Bogota (lire l’article) sur le sujet. Accion se positionne comme un investisseur innovant dans le secteur de l’inclusion financière. Pour garder leur position de précurseur, ils ont décidé de ne plus se concentrer uniquement sur les IMF mais de lancer un Venture Lab tourné vers les fintechs développant des outils d’inclusion financière. Les opportunités sont là aussi vastes !

Nos découvertes sur l’impact investing en Amérique Latine :

  

  • Région d’intérêt : l’Amérique latine est une région de premier plan dans le secteur de l’impact investing. En 2015, 44% des professionnels sondés par le questionnaire GIIN identifiaient la région comme clé.

  • Un marché qui avance à deux temps : il est estimé que 80% des acteurs actuels ont réalisé leur premier investissement après 2007, le moment où le terme « impact investing » a été formulé. Cependant, dans certains pays et surtout dans le secteur de la microfinance le marché est assez mature. Par exemple le Brésil et le Mexique ont tous les deux rejoint le Global Social Impact Investment Steering Group qui souhaite influencer les acteurs publiques et privées pour soutenir et organiser les marchés nationaux d’impact investing.

  • Surreprésentation des investisseurs internationaux : les fonds sont majoritairement étrangers et investissent en Amérique Latine pour développer leurs zones d’influence.

  • Manque de transparence dans le secteur : il s’agit d’un marché jeune et encore assez opaque. Le manque d’informations n’incite pas à investir. Cependant, des success stories émergent et commencent sérieusement à éveiller la curiosité des fonds. Gonzalo San Martins de Inversion de Impacto Chile, nous confirme qu’en qualité de réseau d’influence ils doivent continuer à communiquer là-dessus (voir article) !

  • Manque de soutien des forces publiques : les gouvernements doivent lancer des politiques de soutien à l’impact investing. Il faudrait par exemple qu’ils flexibilisent les critères d’investissement et qu’ils lancent des programmes d’aide aux entreprises sociales pour les préparer à recevoir des investissements.​

  • Le secteur n’est pas assez structuré : il semble important d’organiser des réseaux d’influence dans le secteur avec des stratégies claires. En effet, les acteurs sont aujourd’hui incapables de réglementer le secteur : comment définir plus précisément un investisseur à impact ? Quel ratio de « social » doit-il avoir dans son investissement ? Et quels critères prendre pour le mesurer ? Aujourd’hui, tout le monde peut lever la main et dire « je suis un investisseur à impact », or ce problème de définition pèse sur la crédibilité du secteur.

  • Les ressources sont globalement présentes (donation, investissement, …), mais les investisseurs doivent souvent faire face à un marché de la demande qui n’est pas assez mature. Ils peinent à trouver à court terme des bons projets à impact. On parle d’un pipeline d’opportunités à développer.

colombia.JPG

Zoom sur la Colombie :
Les fonds internationaux dominent largement le marché de l’impact investing en Colombie. Le pays ne compte que trois investisseurs locaux qui investissent à échelle nationale et gèrent 52 millions de dollars. Les faibles taux de pénétration des services bancaires dans les collectivités "de la base de la pyramide ", conjugués aux besoins financiers de ces populations, offrent des possibilités d'investissement qui ont été exploitées par les investisseurs impactant.
• L’économie colombienne, renforcée par la signature du traité de paix avec les FARC, s’impose de plus en plus comme une économie stable et dynamique dans la région. Elle est particulièrement attractive pour les investissements à impact social et environnemental. François Dionne, du programme PASAC (lien article) nous partageait justement de l’intérêt d’un pays comme le Canada d’investir lourdement en Colombie, c’est en effet une période clé pour y développer ses zones d’influences.
Le Private Equity est jeune en Colombie mais a su se développer rapidement. L’impact investing grandit avec lui et, tout en restant un secteur de niche aujourd’hui présente de nombreuses opportunités pour les investisseurs.
• Les acteurs voient la Colombie comme un nouveau marché avec un énorme potentiel d'innovation sociale et une forte attraction pour les investisseurs internationaux.
• En Colombie, l'industrie s'est développée plus uniformément dans tout le pays dans des villes comme Bogotá, Cali et Medellín.
Le secteur agro-industriel est également l'un des principaux bénéficiaires des investissements du pays. La Colombie a le potentiel de devenir le garde-manger de l'Amérique latine en raison de sa situation privilégiée.

perou.JPG

État des lieux au Pérou

  • Entre 1997 et 2018, 78 investisseurs institutionnels ont déclaré avoir investi dans la région. Près de 80 % de ces investisseurs ont effectué leur premier investissement dans la région après 2007, ce qui représente une première vague importante d'investissements d'impact dans la région de l'Amérique latine, principalement dans les grands pays de marché :  Le Brésil, le Mexique et, plus récemment, la Colombie.  Cependant, l'Amérique latine et les Caraïbes sont une région de petits pays de marché. Vingt-neuf des trente-trois pays d'Amérique latine ont une population de 32 millions d'habitants ou moins. Alors, que peut-on faire pour promouvoir une deuxième vague d'investissements ayant un impact sur ces marchés à plus petite population ? Le Pérou participerait à cette nouvelle vague

  • Le Pérou a été le plus grand marché pour les transactions des IMF (155 millions de dollars US), suivi de l'Équateur (101 millions de dollars US) et du Nicaragua (89 millions de dollars US).

État des lieux au Chili

  • Le secteur n’est pas très grand mais il croit ! Le marché compte de plus en plus d’acteurs. Si on regarde les grands acteurs locaux : il y a d’abord eu en 2000 la création de NESsT (lien site), puis FIS Ameris qui a levé en 2010 le premier fonds à impact au Chili (lien site), ensuite Doble Impacto en 2016 avec son projet de banque éthique (lien vers notre article).

  • Il n’y a pas beaucoup de fonds levés dans le pays, il s’agit principalement de family offices qui effectuent des investissements à impact de manière indépendante (ex : Walton Family Foundation).

  • Le Chili doit trouver des moyens pour se distinguer de ses voisins sur le marché de l’impact investing. Aujourd’hui le secteur est beaucoup plus développé en Colombie, au Mexique et au Brésil, qui sont perçus comme les véritables terres d’opportunités de la région, où tout reste à faire. Les acteurs se tournent moins pour le moment vers le Chili qui souffre un peu de la « malédiction de la classe moyenne ».

  • Le secteur entrepreneurial social y est en effet très dynamique. Le Chili est le pays de la région qui compte le plus d’entreprises sociales par habitant. Les principales universités nationales ont développé des incubateurs sociaux pour accompagner les initiatives de leurs élèves. Ce dynamisme devrait donc, d'ici quelques années, pouvoir répondre à l’offre des investisseurs à impact.

  • Le gouvernement chilien a pris conscience de l’importance de ce mouvement économique. Il devrait prochainement reconnaître légalement les entreprises sociales (ce qui n'est pas le cas à ce jour) et ainsi faciliter les financements à leur égard. De même, il met en place des programmes pour développer des incubateurs à impact social.

  • Le Chili accueille cette année le sommet du Global Steering Group, qui est le plus grand rassemblement d’impact social du monde. Cet événement devrait également dynamiser le secteur dans le pays.

Conclusion

  • Certains marchés sont dominés par des acteurs internationaux ou par des investisseurs d'un secteur. Ces pays doivent attirer des entreprises locales supplémentaires pour investir dans l'impact.

  • Dans les pays où l'industrie est plus développée, il n'y a pas suffisamment de capital-risque disponible pour les entreprises à impact à un stade précoce. Et les investisseurs craignent qu'en fin de compte, il n'y ait pas assez de financement de série B ou C à un stade ultérieur.

  • Les investisseurs d'impact devraient partager de manière transparente les leçons tirées de l'expérience des dix dernières années, en mettant l'accent sur les cas de réussite et en définissant également les attentes en matière de rendement financier et de potentiel d'impact.

Il semble qu’il y ait trois grands types d’acteurs qui doivent jouer un rôle important pour les prochaines années dans le secteur :

  • Gouvernement : les politiques doivent soutenir davantage le secteur et facilité les prises d’initiatives et opportunités qu’il compte

  • Grandes entreprises : elles peuvent inclure l’impact investing dans leur stratégie d’entreprise et soutenir la dynamique.

  • Universités : mener des recherches et sensibiliser les étudiants à ses applications.

bottom of page